La monstruosité et la marginalité comme moyen d’empouvoirement des personnages féminins dans les jeux vidéo ?

« Given its metaphorical and literal connections with otherness, difference, and reproduction, the monster is a particularly fruitful object of study for feminist scholars. Female monsters in mythology, folklore, fairy tales, art, literature, film, and television have been thoroughly explored by scholars seeking to articulate the myriad ways in which the female body has been constructed as monstrous within patriarchal society » (p. 737)

Stang et Trammell (2020) « The Ludic Bestiary: Misogynistic Tropes of
Female Monstrosity in Dungeons & Dragons »

La monstruosité et l’altérité sont des thématiques récurrentes des études culturelles, cinématographiques et littéraires (Stang et Trammell, op. cit. 737). Ce sont des terrains fertiles à l’exploration de thèmes philosophiques et psychanalytiques qui permettent de pousser la compréhension de ces thématiques au-delà d’une analyse purement formelle. Sarah Stang, professeure adjointe à l’Université de Brock au Canada et titulaire d’un doctorat de l’Université de York à Toronto, évoque un manque dans l’historiographie et l’épistémologie des études du jeu concernant la monstruosité et la marginalité féminine (2019, « The broodmother… », p. 234). Elle se penche alors sur ces thématiques et en particulier les corps marginalisés des femmes, car transgressifs (« a way to symbolically represent marginalized or transgressive female bodies (particularly hybrid, pregnant, queer, disabled, mad, fat, and old bodies) », cité dans https://smstang.com/). Son travail traite plus largement de la question du genre (Stang, 2020) et des questions queers (Stang, 2018a) ; elle traite aussi de l’abject, autrement dit de ce qui révulse et attire. L’Autre, comme le cyborg (Stang, 2021a) et le monstre (Stang, 2021b) et les relations interpersonnelles comme la paternité (Stang, 2017a), la maternité (Stang, 2016) et l’amitié (Stang, 2017b) sont des thématiques récurrentes de ses articles. Elle traite aussi des marges de l’esprit, de l’intime, du trouble mental, des crises identitaires et du surnaturel (Stang, 2018b).

Au croisement des études féministes et des études culturelles, ses recherches portent en partie sur les discours véhiculés dans les jeux vidéo. Son approche du discours et des représentations est empruntée aux études cinématographiques et littéraires.

Nous nous pencherons sur trois articles qui abordent la question des femmes marginalisées et de leurs corps. Pour deux articles, elle articule les termes psychanalytiques et philosophiques de l’abject et du monstrueux féminin. Ces termes ont rapidement été appliqués et étudiés dans la littérature et le cinéma, mais peu dans les études du jeu. Dans le dernier article, toujours dans la théorisation de la marginalité, notamment celle de la folie, Stang se penche sur les troubles mentaux. Au-delà des discours, elle réfléchit à la jouabilité en association avec les représentations. Ainsi se pose la question de la manière dont Stang, en se disant continuatrice des études faites en littérature et cinéma, propose une lecture des femmes marginalisées et de leurs corps dans les jeux vidéo.

1. Stang dans les games studies

Sarah Stang se fonde sur les théories littéraires et cinématographiques pour étudier les femmes marginalisées dans les jeux vidéo. Son approche est plutôt discursive et représentationnelle.

Dans un premier temps, son travail s’axe sur la marginalité avec la folie comme sa représentation et mécanique de jouabilité. Par la suite, plus que la marginalité, par deux articles, elle montre que la féminité monstrueuse des méchantes (villain) dans les jeux vidéo participe au maintien du statu quo de l’ordre hétéropatriarcal, notamment par la dualité de la répulsion/désir qu’implique l’abject telle que définie par Kristeva.

Dans l’article « The Broodmother as Monstrous-Feminine: Abject Maternity in Video Games » (2019) et « Shrieking, Biting, and Licking: The Monstrous-Feminine and Abject Female Monsters in Video Games » (2018), elle mobilise les termes d’abject et de monstrueous feminine. L’abject comme développé par Kristeva est issu de la pensée lacanienne. Quant à l’expression de monstruous feminine, elle fait référence aux théories développées par Creed en particulier dans le domaine des études cinématographiques.

Dans l’article « The Broodmother as Monstrous-Feminine: Abject Maternity in Video Games », Stang se concentre sur la figure de la mère monstrueuse dans les jeux vidéo, notamment DragonAge : Origins (2009), Dragon Age : Origins – Awakening (2010) et la série des StarCraft (1998–2017). Dans l’article « Madness as True Sight in The Cat Lady and Fran Bow », toujours avec la théorie de l’abject de la monstruosité féminine, Stang analyse les figures des méchantes dans les jeux vidéo God of War et The Witcher. Le jeu vidéo devient un lieu d’expression palpable des analyses théoriques psychanalytiques.

La perspective psychanalytique est intéressante sur plusieurs points : ce sont des outils d’analyse des représentations. Ici, la psychanalyse ne se veut pas analyste du·e la joueur·euse, mais une alliée de la compréhension des représentations et de ce qu’elles disent des conceptions de la femme et de la mère. De fait, la peur et le mépris des femmes et des femmes au corps transgressif sont sociologiquement et historiquement attestés. Les termes de monstruosité féminine et d’abject sont finalement des outils théoriques pertinents en étude du jeu.

2. Commentaires critiques sur les trois articles

2.1. La maternité monstrueuse et un accouchement problématique

Dans « The Broodmother as Monstrous-Feminine: Abject Maternity in Video Games », Stang se questionne sur la possibilité qu’offrent les jeux vidéo montrant des mères à les encapaciter et à les empouvoirer en analysant diverses figures de mères de la Broodmother ​(Dragon Age : Origins [2009]), la Mother (Dragon Age : Origins – Awakening (2010)) et Kerrigan (série StarCraft).

  • Constater la représentation de la parentalité

Stang constate que la parentalité n’est pas représentée de manière paritaire. Les mères sont absentes ou décédées, et lorsqu’elles sont présentes, elles sont souvent tuées au cours du jeu. (p. 237) En revanche, les pères sont surreprésentés. Stang mentionne la « dadification of game » (p. 234, p. 237) pour évoquer la multiplicité et diversité des jeux vidéo traitant des relations réelles ou métaphoriques de la paternité. Les mères dans les deux Dragon Age sont des monstres, d’énormes larves nourricières produisant des progénitures qu’il faut tuer (figures 1 et 2).

Figure 1 Broodmother (EA [2009] Dragon Age : Origins)

Figure 2 the Mother (EA (2010) Dragon Age: Origins – Awakening)

  • Définir des termes psychanalytiques

Pour analyser ces personnages, elle explicite ce qu’elle entend par l’abject et la monstruosité féminine. Le premier terme, développé par Kristeva dans les années 1980, est un terme psychanalytique et philosophique. L’abject est ce qui répugne, mais aussi ce qui nous attire :

[B]odily fluids and excrement, disease, open wounds, death and decay, cannibalism, bodily alteration or transformation, dismemberment, and even sexual perversion. However, the abject is, paradoxically, associated with both fear and jouissance, as we are often both disgusted by and drawn to that which is abject. (p. 235)

L’abject, comme le monstrueux, serait ce qui doit être détruit, car il est l’anormalité, ce qui perturbe l’ordre. Le terme de monstruosité féminine est développé par Creed pour le cinéma entre autres. La femme monstrueuse se rapproche de l’abject. Elle répugne, elle ne peut que provoquer du dégoût (p. 235).

  • Quand la jouabilité permet le statu quo de l’hétéropatriarcat

La mère monstrueuse par ces deux aspects est un danger pour l’hétéropatriarcat. Stang réutilise cette terminologie philosophique et psychanalytique dans le cadre du jeu vidéo. En effet, ces termes ont été maintes fois utilisés pour la littérature et le cinéma, mais Stang estime qu’un manque épistémologique sur ces thématiques dans les jeux vidéo est notable :

Although much gender-based game scholarship has analyzed female characters as hypersexualized or infantilized damsels-in-distress, there are very few studies which address the other side of problematic video game representation: female villains and monsters (for some examples of world which does address this, see Spittle, 2011; Sarkeesian, 2016 ; Trépanier — Jobin & Bonenfant, 2017) (2018a, p. 19).

 Ce manque d’étude contribuerait aux absences de diversités des représentations des femmes monstres et de fait, un manque de réflexion sur ces personnages.

Au-delà des représentations, Stang analyse la jouabilité comme vecteur de sexisme : « This virtual symbolic violence therefore reinforces misogynistic hegemonic ideologies » (p. 234). Ainsi, par l’action de jouer un personnage qui doit tuer la monstruosité, autrement dit la mère, le·a joueur·euse est complice de statut hégémonique qu’est l’hétéropatriarcat :

In this sense, by forcing the player to control a generally normative, non-monstrous heroic representative of the symbolic order, games make players complicit in the violence enacted against monstrous bodies. (p. 237)

Plus que complice et spectateur de la violence hétéropatriarcale, Stang nous montre qu’on performe cette violence :

This complicity is precisely why studying the monstrous-feminine in video games is an important task: we do not simply watch the cathartic re-enactment of patriarchal violence directed at non-normative and transgressive reproductive female bodies as in the horror films discussed by Creed – we perform it. (p. 237)

  • La mère monstrueuse : l’Autre racisée

Kerrigan, dans Starcraft, est une mère monstrueuse. Elle subit un processus de transformation. Sous sa forme monstrueuse, elle possède des protubérances marronnes, semblables à des dreadlocks. Également, elle change de couleur peau. Lorsqu’elle se fait dé-infectée[1], elle garde ses deadlocks comme des reliquats de sa monstruosité. Stang y voit ici une représentation de la monstruosité féminine comme étant une Autre racisée :

Like the alien from Predator (McTiernan, 1987), these brown dreadlock-like protuberances code her as racialized, placing StarCraft into a long popular culture tradition of visually depicting alien and alienhuman hybrid characters as racialized Others (p. 248).

Également, le potentiel empouvoirant de la monstruosité s’arrête au moment où l’happy ending est un retour « à la normalité » de Kerrigan. Elle ne peut pas, par la trame narrative et la jouabilité, être empouvoirée par la monstruosité (p. 250). Pour Stang, ce retour à la norme renvoie au trope traditionnel et sexiste de la monstruosité comme une position de victime « as both a victimized damsel-in-distress and a dangerous femme fatale » (p. 249).

Les pistes de recherche pour aller plus loin se situent au niveau de la réception. Stang ouvre sa conclusion sur l’intérêt qu’il y a eu auprès des joueur·euse·s à jouer Kerrigan. Pour Stang, il existe donc un potentiel d’identification à la monstruosité féminine. L’agentivité du monstre est intéressante pour ne plus penser les monstres comme des ennemis à tuer, mais comme objet/sujet pour lequel le·a joueur·euse peut développer de la sympathie.

2.2. Les monstres féminins, des personnages acculés par la violence hétéropatriarcale

Dans « Shrieking, Biting, and Licking: The Monstrous-Feminine and Abject Female Monsters in Video Games »,​ Stang se penche sur les monstres de deux séries de jeux vidéo : God of War et The Witcher.

  • Constater

Dans un premier temps, Stang dresse un constat : il existe un trope narratif récurrent de la femme comme objectif du personnage principal. Elle est un love interest ou une demoiselle en détresse. Ces tropes ont été analysés à plusieurs reprises. À l’inverse, les méchantes (villains) sont peu étudiées, voire pas étudiées en études du jeu, alors que ces thématiques l’ont été dans le cinéma et la littérature.

  • Définir des termes et cadres conceptuels

Comme pour le premier article de ce travail, Stang utilise les termes de monstruous-feminine » et d’abject. Elle entre aussi son étude dans la longue lignée d’études culturelles du monstre féminin en faisant remonter à l’origine grécoantique de la monstruosité féminine. Très représentée dans la mythologie grecque (les gorgones, les harpies, les sirènes et autres monstres peuplant l’Illiade et l’Odyssée d’Homère, par exemple) :

For example, in his book The Gender Knot: Unraveling Our Patriarchal Legacy, Allan Johnson (2005) noted that the ancient Greek mathematician and philosopher Pythagoras identified the “evil principle” as that which “created chaos, darkness, and woman” (p. 63). Indeed, connecting women with monstrosity was a common practice: as Creed (1986) observed, “[c]lassical mythology was populated with gendered monsters, many of which were female”.  (p. 2)

Ces tropes antiques de la monstruosité ont été rendus populaires et réutilisés dans la fiction. Pour développer son analyse, Stang s’attarde sur trois types de monstres : les brouxes, les sirènes et les banshees.

  • Des monstres victimes et des joueur·euse·s agresseur·euse·s ?

Le point commun des trois monstres mentionnés précédemment est leur cri.​ Elles crient pour étourdir le personnage principal (un homme), mais ce cri engendre peu de dommages physiques​. Intéressant de relever, Stang mentionne Chion qui a étudié la voix au cinéma. Il fait une différence entre les cris selon le genre de la personne :

Man’s cry is often called a shout rather than a scream, suggesting aggressive power or primal marking of territory. The man’s shout is therefore voluntary, calculated, and purposeful, whereas “[t]he woman’s cry is rather more like the shout of a human subject … in the face of death” (Chion, p. 78 cité dans Stang, 2018a, p. 25).

Ce que nous dit cet extrait est finalement qu’une femme qui crie est associée à la détresse, à l’agression qu’elle subit et la peur de mourir. Celui d’un homme en revanche est un cri stratégique et voulu. Si Chion considère que le cri, peu importe le genre, renvoie à l’agressivité et au marquage d’un territoire, on peut considérer que le cri de l’homme est alors un cri impérialiste tandis que celui de la femme est celui de la réaction à l’empiétement sur son espace intime. Ce que ne dit pas Stang, et qui serait intéressant à relever, c’est que les monstres féminins semblent être « cherchés » par le·a joueur·euse (du moins pour les sirènes et les brouxes dans The Witcher), renforçant l’idée d’empiéter sur l’espace intime du monstre entraînant mécaniquement les cris. Stang met ce processus en parallèle avec les victimes d’agression qu’on encourage à crier pour sidérer l’agresseur et permettre la fuite :

[The] victims are encouraged to shout and scream to startle their attackers and give them an opportunity to escape or fight back. While female monsters in these games never try to escape, they do use the moment in which the protagonist is stunned to fight back (Stang,2018a, p. 25).

Ainsi, je me pose questionne sur le postulat de base de Stang : elle propose d’étudier les monstres féminins et les méchantes, car les études se sont intéressées jusqu’à présent aux victimes. Cependant, avec sa démonstration et ses travaux, nous pouvons comprendre qu’étudier les monstres féminins revient à étudier des personnages victimes. Nous pouvons aller plus loin, en soumettant l’idée que ce sont des victimes de notre personnage et de nous, en tant que joueur·euse. Comme dit Stang dans son article précédent, les spécificités du médium vidéoludique que sont l’interactivité et la jouabilité impliquent plus qu’une complicité, mais une performance de la violence hétéropatriarcale.

  • Des personnages menaçant l’hétéropatriarcat

Nous avons vu que ces monstres féminins étaient des victimes et que leur première attaque est le cri, bien qu’elle inflige peu de dégâts au personnage principal. Leurs attaques secondaires d’après Stang sont souvent l’usage de serres et de crocs qui « pénètrent » le joueur masculin​. Ces attaques d’un point de vue linguistique, psychanalytique et philosophique renvoient à quelque chose de phalliques associées à la domination masculine. Les monstres féminins, en se réappropriant les outils du masculin, semblent être des concurrentes (Stang, 2018a). Si elles concurrencent l’ordre établi, elles sont une menace.

De même, les sirènes (dans les deux séries) et les brouxes (dans the Witcher) sont belles et séduisantes, puis se révèlent être des créatures monstrueuses. Par cette façade, elles cherchent à tromper le personnage principal. La tromperie par la séduction est aussi une menace et un danger.

As Sarkeesian argued, because the femaleness or sexuality of these monsters is central to their danger and horror, “when male heroes defeat them, their victory is often explicitly gendered, emphasizing that the male protagonist has overcome the female threat and reinserted his dominance and control” (Sarkeesian, 2016, 09:00 minute)(p. 30).

Le retour à l’ordre comme dans Dragon Age se matérialise par la suppression de ces menaces et ces concurrentes ou leur punition (p. 26). Leur mort est une victoire de « l’ordre symbolique patriarcal et normatif » (p. 26).

This deceptive “bait-and-switch” relates back to Pythagoras’ “evil principle” and the “ancient and modern beliefs that women are inherently evil and a primary cause of human misery” (Johnson, 2014, p. 63) (p. 26).

Le contrôle et la domination sont maintenus par la maîtrise de soi face aux monstres tentateurs. La résistance est une victoire, une action valorisée dans un système de valeurs virilistes, mais elle perpétue le principe sexiste que les femmes séduisantes soient malhonnêtes et intéressées par le pouvoir ou l’argent ; des femmes dont il faut se méfier.

Stang place cette perspective dans une logique historique et culturelle des monstres de la tradition grécoantique, mais nous pourrions nous questionner sur la mythologie romaine comme la mythologie japonaise, très présente dans les jeux vidéo du fait de l’importance culturelle du Japon dans cette industrie. En effet, on note que parmi les monstres mythologiques japonais une grande part est donnée aux monstres féminins chez les Yokai. Cette piste pourrait être explorée.

  • Source de calamités

Les monstres féminins ne sont pas seulement une menace pour l’ordre normatif et patriarcal, elles sont aussi une menace pour l’humanité. Deux monstres en particulier Megaera (God of War) et la vierge de la peste (The Witcher)​ sont des personnages sources de calamités. En effet, Magaera diffuse un essaim de parasites depuis son torse. La vierge de la peste est quant à elle, comme son nom l’indique, à l’origine d’un fléau épidémique. Encore une fois, les supprimer revient à limiter la contagion et la propagation de la mort.

​2.3. La marginalité diversifiée

Dans « Madness as True Sight in The Cat Lady and Fran Bow », Stang se penche sur la marginalité et les représentations des femmes et petites filles atteintes de troubles mentaux. Elle constate que le trouble mental est souvent un trope narratif : « insanity has been stereotypically used as an outward manifestation of an interior perversion. » (p. 236)​ Elle propose une liste faisant un état des lieux des jeux utilisant ce trope narratif :

Some famous examples are Kefka (Final Fantasy VI, 1994), SHODAN (System Shock, 1994 ; System Shock 2, 1999), Sephiroth (Final Fantasy VII, 1997), Chai (Shenmue, 1999), Dahlia (Silent Hill, 1999), Sander Cohen (BioShock, 2007), GLaDOS (Portal, 2007 ; Portal 2, 2011), The Joker (Batman: Arkham series, 2009–2013), Vaas (Far Cry 3, 2012), and Pagan Min (Far Cry 4, 2014)(para. 1).​

Diversification des représentations

Dans le jeu vidéo comme dans les études du jeu, la folie chez les femmes et les enfants, l’usage de la médicamentation, traumatisme, dépression​ sont des thématiques peu explorées.

They also address important themes and issues which are under-explored in video games, including the complicated nature of medication use, the risks associated with medical facilities, and the powerlessness faced by women and children who are labelled mad (Stang, 2018b, para. 4).

Dans Fran Bow et The Cat Lady, ​bien que les représentations soient gores et horrifiques, ce ne sont plus les patient.es qui sont des sources d’horreur, mais bien le personnel soignant maltraitant :

It is not horrific because of the mentally ill patients detained within. It is horrific because of the callous nurses, the abusive doctors, and the gruesome techniques used on the children to “cure” them (Stang, 2018b, para. 11).

Ce trope narratif des patient.es comme sources d’horreur pourrait être qualifié de psychophobe. La psychophobie est la stigmatisation et l’oppression des individus ayant ou supposément ayant des troubles mentaux. Cette conception nous vient du milieu anglophone et plus particulièrement de Judi Chamberlin qui développe lementalisme dans On our own : Patient Controlled Alternatives to the Mental Health System (1978). J’ajouterai aussi que la source d’horreur, plus que le personnel soignant, est l’institution psychiatrique. L’institution est la machine administrative privant les patient.es de leurs mouvements, mais aussi les privant de leurs droits et libertés. Des hôpitaux où se sont déroulées des expérimentations sur des patient.es deviennent dans ces jeux vidéo des sources d’horreur.

  • Une fausse image du trouble mental ?​

Stang s’intéresse à la mécanique du trouble mental qu’elle qualifie de « true sight ». Dans le cas de Hellblade : Senua’s sacrifice​, Lacina (cité.e par Stang, 2018b) loue la diversité des représentations qu’offre Hellblade(para 7)​ et la possibilité de sensibiliser le public à la psychose par le jeu : « a sensitive lesson plan for a neurotypical audience about mental illness ». Cependant, il est aussi noté que cette sensibilisation comporte une limite, car la psychose n’est pas socialement contextualisée et des éléments de compréhensions sont omis, comme la difficulté administrative, médicale et sociale entre autres. Ce qui est intéressant dans The Cat Lady et Fran Bow​ est peut-être leur contextualisation. Également, la médication renforce leur « true sight » permettant d’avancer dans le jeu (un chapitre dans The Cat Lady et presque tout le jeu dans Fran Bow).

Le problème des représentations n’est pas tant d’associer le trouble mental à l’horreur, mais la manière de les représenter. The Cat Lady et Fran Bow ne proposent pas de représentations dénuées de maladresses, mais elles ont l’avantage de proposer une happy ending qui ne repose pas sur la guérison et établisse la question du soin tout au long des jeux :

While this is not an accurate or healthy construction, it does subvert the trope of asylum patients as “murdering psychopaths” and reinforce the message that people with mental illnesses have often been disempowered and victimized by the violence of medical practices and discourses. (para. 15)​

L’empouvoirement de ces personnes ne passe finalement peu voire pas par la maladie mentale, les personnages féminins ne sont pas leur maladie mentale, mais fait partie de leur identité. Elles sont aussi sympathiques, courageuses, peuvent aider les autres et s’aider. Cette diversité des représentations permet aussi de proposer au·à la joueur·euse de jouer un personnage atteint de trouble mental et donc, une identification.

Certains schémas narratifs semblent être usés selon Stang. À titre d’exemple, elle évoque le retournement de situation au chapitre final où l’on découvre que le personnage n’avait pas d’hallucinations, mais était en train de rêver depuis le début (Stang, 2018b). Pour pallier ces « tired tropes », Stang montre qu’il existe un véritable intérêt tant du côté des développeur·euse·s et des joueur. euses pour évoquer les troubles mentaux autrement[2] et « may indicate a trend towards more fully researched or autobiographical, respectful, and empathetic representation in games » (Stang, 2018b).

Conclusion​

Les travaux de Stang sont pertinents, car ils mobilisent des études en dehors des études du jeu pour étoffer ses propos. Les termes philosophiques et psychanalytiques et les concepts empruntés aux études cinématographiques et littéraires permettent une analyse théorique des représentations. Bien que ça ne soit pas le cœur de son travail, elle amorce un travail sémiopragmatique de la réception des représentations en donnant des pistes de recherche notamment sur l’engouement des joueur. euses à jouer et incarner des monstres féminins. Son travail pose également un état des lieux de ce qui a été fait en listant des jeux pertinents à l’analyse des monstres et de la marginalité. Cet aspect pionnier dans les études du jeu l’amène à développer des pistes exploratoires à se pencher sur les travaux d’individus non universitaires comme des journaux et des blogues personnels (Lindsay, Nixon, Lacina, etc.).

Concernant le cadre conceptuel, je pense qu’on pourrait se diriger davantage vers les sciences sociales et voir apparaître des termes explicitant les différents rapports politiques entre individus. Je pense à la psychophobie, la psychiatrisation, puis le sexisme et racisme systémiques. Elle mentionne le terme de « misogynie » qui selon moi pourrait être remplacé par sexisme systémique. De même que lorsqu’elle évoque « l’Autre racisée », nous nous attendrions à voir le terme de racisme systémique mentionné.

Ma thèse s’inscrit dans la lignée de ces travaux. Étudier son approche me permet de voir les limites de ma propre recherche et ses angles morts pour, à terme, les éviter au mieux.

Références

Ludographie

  • Bioware. (2009). Dragon Age: Origins. Redwood City: Electronic Arts, Playstation 3 game.
  • ——————. (2010). Dragon Age: Origins – Awakening. Redwood City: Electronic Arts, Playstation 3 game.
  • CD Projekt Red. (2007). The Witcher. Atari. Microsoft Windows. CD Projekt Red. (2011). The Witcher 2: Assassins of Kings. CD Projekt. Microsoft Windows. CD Projekt Red. (2015). The Witcher 3: Wild Hunt. CD Projekt. Microsoft Windows
  • Blizzard Entertainment. (1998a). StarCraft. Irvine: Blizzard, PC game.
  • ——————. (1998b). StarCraft: Brood War. Irvine: Blizzard, PC game.
  • ——————. (2010). StarCraft II: Wings of Liberty. Irvine: Blizzard, PC game.
  • ——————. (2013). StarCraft II: Heart of the Swarm. Irvine: Blizzard, PC game.
  • ——————. (2015a). Heroes of the Storm. Irvine: Blizzard, PC game.
  • ——————. (2015b). StarCraft II: Legacy of the Void. Irvine: Blizzard, PC game.
  • Santa Monica Studio. (2005). God of War. Sony Computer Entertainment. Playstation 2.
  • Santa Monica Studio. (2007). God of War II. Sony Computer Entertainment. Playstation 2.
  • Santa Monica Studio & Ready at Dawn. (2008). God of War: Chains of Olympus. Sony Computer Entertainment. Playstation Portable.
  • Santa Monica Studio. (2010). God of War III. Sony Computer Entertainment. Playstation 3.
  • Santa Monica Studio. (2013). God of War: Ascension. Sony Computer Entertainment. Playstation

[1] Terme emprunté à Stang : « the form I refer to as ‘de-infested’. » (p. 248)

[2] Depression Quest (2013),​ Actual Sunlight (2014)​ There Are Monsters Under Your Bed (2014) Hellblade​.

Biographie

Elisa Vial est doctorante en études sémiotiques à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et assistante de recherche. Sa thèse porte actuellement sur la représentation de la psychiatrie institutionnelle dans les jeux vidéo. Elle s'intéresse en particulier aux rapports de pouvoir, au capitalisme, à l'antipsychiatrie, à la santé mentale, à la psychophobie et aux études du genre.