L’ambiance comme catalyseur d’apprentissage

L’activité vécue par les étudiant.e.s a été bénéfique grâce à certaines de ses composantes qui sont différentes d’un enseignement conventionnel. L’activité de jeu de rôle a créé un espace d’apprentissage unique qui a modulé le rapport entre les joueur.se.s et la matière à consolider. Plus précisément, l’emploi du jeu de rôle a changé pour le mieux l’atmosphère ; il a alimenté une ambiance plus plaisante et détendue, qui a amélioré l’apprentissage des étudiant.e.s. Celle-ci peut être attribuée à plusieurs facteurs qui, une fois accumulés, ont une influence significative sur la consolidation des nouvelles informations.

Le désir de jouer

La grande majorité du groupe avait soit déjà joué à un jeu de rôle (Dungeons and Dragons) ou avait un intérêt envers ce genre de jeu. Le fait d’utiliser celui-ci comme une opportunité d’apprentissage a donc créé un engouement tout au long de la session et un engagement fort dès la première séance de jeu. Cette énergie a eu un impact considérable sur le contenu créé par les joueur.se.s, la quantité et qualité des interactions entre le groupe et avec les personnages. Se faire transporter dans un autre monde, le découvrir avec les autres et avoir la possibilité de l’influencer sont des caractéristiques de l’activité qui ont été appréciées par plusieurs étudiant.e.s. La modalité d’enseignement a alors rendu le contexte d’apprentissage plus agréable puisque celle-ci résonnait plus avec le groupe que la méthode traditionnelle.

L’activité était plus détendue qu’un format de cours habituel aussi parce qu’elle comportait une expérience de jeu. Le jeu de rôle a servi à réfléchir aux notions apprises dans un contexte plus ludique. Il y a donc eu, dans les mots d’Alvarez, Djaouti et Rampnoux (2016), un « détournement éducatif du jeu vidéo » ou Serious Gaming parce que des objectifs d’apprentissage ont été ajoutés par-dessus le jeu original. Les étudiant.e.s ont vécu cette sensation de relâchement parce qu’ils jouaient avant d’apprendre. Un cours magistral n’est pas stressant pour autant, mais il a une certaine pression qui n’était pas présente ou perceptible durant les séances de jeu de rôle à cause du Serious Gaming. Le plaisir et l’ambiance ludique générés par le jeu a donc contribué à une atmosphère considérablement différente d’une période de cours magistral et a potentiellement amélioré notre apprentissage.

Décrocher du monde réel

La narration nécessaire pour faire fonctionner ce type de jeu a aussi eu un rôle à jouer dans l’atmosphère bénéfique. Pour comprendre le nouveau monde dans lequel notre personnage va interagir, il faut être à l’écoute des informations données par les personnages non joueurs, les objets de ce monde et les propos du maître du jeu, qui sont tous des éléments de la narration offerte. Celle-ci fait penser à une histoire que le groupe doit écouter, un livre fantastique sur l’histoire du monde fictif dans lequel les personnages des joueur.se.s vivent. Un des effets désirables de ces œuvres est d’offrir un moment de repos, de déconnexion à la réalité. Les étudiant.e.s ont dû se renseigner et s’immerger dans un monde différent pour avancer l’histoire et ont donc pu décrocher du monde académique à chaque fin de cours. L’activité de jeu de rôle a donc fait vivre le même genre de repos envers le monde réel qu’un livre, et ce, à plusieurs reprises. L’immersion nécessaire au bon déroulement du jeu a donné un répit du quotidien d’un.e étudiant.e.

En lien avec ce repos, le monde utilisé pour le jeu est fictif et les erreurs faites dans celui-ci n’ont presque pas d’impact sur le monde réel. Le repos mentionné plus haut est donc, en plus, au niveau des conséquences possibles des agissements du groupe. Savoir que faire des erreurs ne cause presque pas de conséquences en dehors du jeu enlève une pression pour certain.es et favorise l’implication autant dans la prise de décision que dans les interactions plus banales. Le retrait des conséquences contribue aussi à cette ambiance détendue et propice à la participation.

La séparation entre le monde réel et fictif se fait aussi en grande partie par l’identité adoptée lors des séances de jeu et la reconnaissance du contexte de jeu. Le fait de jouer un personnage dans un monde fictif créé une distance psychologique qui force les joueurs à prendre un pas de recul par rapport aux évènements vécus dans le jeu. L’idée de la différence entre le jeu et le non-jeu fait référence à la place de la métacommunication dans le jeu selon Gregory Bateson. Pour lui, tout jeu doit y avoir des joueur.se.s qui reconnaissent que le contexte ludique n’est pas à prendre au premier degré, que celui-ci n’est « qu’un jeu » (1977, p. 210). Ce détachement contribue au relâchement discuté jusqu’à maintenant pour le.la joueur.se. Celui-ci contraint en addition les perceptions ou interprétations du groupe au contexte du jeu.

L’aspect social de l’activité

Alors que les étudiant.e.s se connaissaient peu (une nouvelle cohorte en temps de pandémie, durant laquelle tous les cours sont donnés à distance), le jeu de rôle a été une activité brise-glace qui a forcé les joueur.se.s à interagir entre eux dans un contexte différent que celui des classes. Toute interaction était nuancée et plus facilement acceptée parce que les participant.e.s comprenaient  qu’il s’agissait des prises de parole des identités fictives. À chaque interaction, le joueur.se pouvait se rappeler que le tout n’était qu’un jeu et cela a été un filet de sécurité qui a su réduire la gêne des étudiant.e.s devant leurs nouveaux collègues. Les interactions des personnages étaient quand même attribuées aux étudiant.e.s lorsqu’il était temps de quitter l’univers du jeu et a favorisé le contact. Ce relâchement collectif a réduit la pression de départ ou la gêne qui accompagnait le début de session. L’ambiance a donc rapidement pris un ton humoristique, comique, léger et a créé un environnement propice à l’apprentissage.

L’activité de jeu de rôle a servi à mettre en pratique les notions que les étudiant.e.s ont appris et il a aussi indirectement servi à créer une cohésion de groupe. Le jeu de rôle a non seulement soutenu le cours en facilitant les contacts avec les pairs et en mettant les étudiant.e.s dans des mises en situation amusantes et dénuées de pression, il a aussi tissé des liens qui perdureront au-delà du cours. L’ambiance agréable générée par l’activité a amorcé la création de relations professionnelles et amicales entre les étudiant.e.s. L’entraide, le partage et le support mutuel entre les étudiant.e.s sont des résultats directs de l’activité de jeu de rôle. L’aspect social développé pendant l’activité a donc indirectement amélioré les apprentissages faits dans le cours et améliorera potentiellement les apprentissages faits au fil de la formation universitaire. La décision d’intégrer ce genre d’activité au cours a eu des bienfaits à plusieurs niveaux, à court terme et à long terme, par la mise en place d’une atmosphère agréable.

Bibliographie

Alvarzez, J., Djaouti, D., Rampnoux, O. (2016), Apprendre avec les Serious Games ? Paris, Canopé Editions.

Bateson, G. (1977). « Une théorie du jeu et du fantasme », dans Vers une écologie de l’esprit, Tome 1, 209-224.