Conséquences sociales du choix de l’outil communicationnel

Comme il a été mentionné précédemment dans l’introduction, l’activité a été mise en place dans une classe de nouveaux étudiant.e.s à la maîtrise sur la plateforme Slack. Alors, aucun des participant.e.s ne se connaissait préalablement. Dans cet article, nous analyserons les aspects sociaux de l’activité liée à la création d’une dynamique de groupe, ainsi que les conséquences du choix de la plateforme utilisée.

Création d’une dynamique de groupe

Selon le psychologue allemand-américain Kurt Lewin (1997), il est normal qu’il y ait un moment d’adaptation, de la part des membres d’un nouveau groupe, avant qu’une dynamique ne s’y installe. Lors des premières rencontres, tout le monde jauge ce qui est accepté ou non par les autres membres du groupe avant d’agir. Graduellement, les membres du groupe sauront quoi faire et ne pas faire pour ne pas être exclu du groupe et que ce dernier reste cohésif.

Dans le cadre de l’activité, un défi supplémentaire était cependant présent. Non seulement les participant.e.s ne sont pas tout à fait eux.elles-mêmes lorsqu’elles intègrent un nouveau groupe, mais en plus il.elle.s devaient incarner un personnage fictif qui avait été créé par eux.elles. Créant ainsi une hésitation supplémentaire à prendre les devants. Ledit défi est encore plus présent dans le cas où le personnage fictif a une personnalité totalement opposée de celle de la personne qui l’a crée. Aurait-il été pertinent que les étudiant.e.s ne créent pas de personnages fictifs et qu’il.elle.s participent comme si c’était réellement eux.elles qui se retrouvaient téléporté.e.s dans un monde imaginaire? Étant donné que le scénario est fondamentalement fictif, il est peu probable que cela ait changé de manière significative la création d’une dynamique de groupe. 

À l’inverse, un argument pourrait être fait comme quoi cette activité de ludification, en plus d’aider l’apprentissage au sein de la cohorte, a permis de développer plus rapidement une cohésion de groupe. C’est d’ailleurs un commentaire qui est ressorti plusieurs fois par les participant.e.s, lors du post mortem. D’abord, en forçant les personnages à interagir entre eux, les étudiant.e.s sont obligé.e.s de sortir de leur zone de confort et de ne pas rester passif. Dans un contexte où ces interactions sont vues comme un jeu, le stress de faire un faux pas n’est pas aussi présent que dans une situation non ludique. Permettant ainsi aux participant.e.s de ne pas se prendre trop au sérieux et d’ajouter des messages pouvant être perçus comme de l’humour. Il est important de mettre l’accent sur le « pouvant être perçu » dans la dernière phrase, car les interactions étaient faites par écrit sur la plateforme numérique Slack.

Communication écrite versus visioconférence

Comme l’a démontré l’anthropologue David Jocobson, l’interprétation d’un même message écrit peut varier énormément d’un individu à l’autre. Ceci dépend de l’expérience des individus avec les programmes de messageries instantanées, ou encore de leur appartenance à une sous-communauté (Jocobson, 2007). J’ajoute à cela une complexité supplémentaire liée à l’interprétation émotionnelle des messages écrits. L’absence de comportements non verbaux oblige les utilisateur.trice.s à s’adapter, en utilisant des émoticônes par exemple (Gauducheau, 2008; Park, 2007). La plateforme numérique Slack est peut-être utile comme outil communicationnel de support dans des projets d’équipes ne nécessitant pas de grosses discussions, mais plutôt des échanges d’information sporadiques ou non soutenus. Lorsqu’une discussion est importante et que des décisions doivent être prises, il serait préférable de privilégier la communication face à face. Dans un contexte où le présentiel n’est pas une option, l’utilisation d’une plateforme avec une caméra vient complémenter les échanges verbaux. Ainsi, une partie de la communication non verbale est désormais possible. Dans les échanges post mortem de l’activité, il a été mentionné par les participant.e.s qu’à plusieurs reprises, il.elle n’avait pas écrit assez vite leur commentaire et que l’action avait déjà évoluée. Sans dire que cela ait nui particulièrement à l’apprentissage, nous pouvons néanmoins suggérer que ce n’est pas un scénario optimal. Dans un but de cohésion avec l’histoire, il.elle décidait donc de ne pas le publier, ou de le publier sous le format d’un sous-commentaire.

La plateforme Slack offre l’option à ses utilisateurs de publier leur message dans une conversation principale, donc à la suite des autres messages, ou bien de les écrire en sous-commentaires. Dans l’activité, les sous-commentaires permettaient à un certain point de contrer le manque de temps pour écrire. Cependant, si les participant.e.s les avaient énormément utilisés, il y aurait alors eu plusieurs discussions importantes en même temps. Ce qui aurait été fort chaotique. Dès lors, ils ont principalement été utilisés pour ajouter des « clins d’œil », des moments cocasses, et parfois des « chuchotements » entre les personnages.

L’une des sessions de l’activité, qui nécessitait une plus grande collaboration entre les étudiant.e.s, a été faite sur la plateforme numérique Zoom. En plus de la discussion écrite, la plateforme Zoom est un outil de communication permettant à ses utilisateurs de discuter vocalement, avec ou sans webcam. Ainsi, les participant.e.s ont eu l’occasion de proposer des idées et argumenter entre eux.elles de manière plus soutenue. Lors de cette session vocale, le nombre d’interactions et le niveau de participation augmentèrent significativement. Il était aussi plus facile pour les participant.e.s d’interagir avec le maître ou la maîtresse de jeu et lui poser des questions sans que cela crée une cassure dans le rythme de la partie.

Options alternatives

Considérant la nature de l’activité, qui est basée sur les interactions entre les participant.e.s, il serait même possible d’utiliser une autre plateforme permettant aux utilisateurs de déplacer un avatar dans un univers virtuel, tel que le jeu Minecraft ou la plateforme VRChat. Cependant, étant donné les limites de temps et de ressources, le contexte éducatif de l’activité, ainsi que l’expérience différent.e.s des participant.e.s avec ce type de technologie, l’utilisation d’une plateforme relativement clé en main, telle que Slack, est suffisant pour atteindre les objectifs d’apprentissage de l’activité. Pour améliorer encore plus les interactions, la création d’une dynamique de groupe entre les étudiant.e.s et l’expérimentation avec les notions à assimiler dans le cadre du cours alors le choix d’une plateforme permettant la visioconférence, telle que Zoom, serait à prioriser. Dans tous les cas, et comme nous le verrons en profondeur dans le prochain article, la ludification a des effets positifs à plusieurs niveaux pour les étudiant.e.s.

Bibliographie

Gauducheau, N. (2008). La communication des émotions dans les échanges médiatisés par ordinateur : bilan et perspectives, Bulletin de psychologie, numéro 496(4), 389-404.

Jacobson, D. (2007). Interpreting Instant Messaging: Context and Meaning in Computer-Mediated Communication. Journal of Anthropological Research, 63(3), 359-381.

Lewin, K., (1997). Resolving Social Conflicts and Field Theory in Social Science, American Psychological Association, 422 pages.

Park, J. (2007). Interpersonal and Affective Communication in Synchronous Online Discourse. The Library Quarterly: Information, Community, Policy, 77(2), 133-155.