Comprendre la pragmatique des effets génériques de Dominic Arsenault

Dans son article « Introduction à la pragmatique des effets génériques : l’horreur dans tous ces états » (2010), Dominic Arsenault propose une nouvelle approche entourant la question du genre dans les jeux vidéo. Il vient y jeter les bases de sa « pragmatique des effets génériques » qui sera explorée en détail dans son doctorat intitulé Des typologies mécaniques à l’expérience esthétique : fonctions et mutations du genre dans le jeu vidéo (2011). 

D’entrée de jeu, Arsenault indique que, malgré leurs fondements formalistes, les réflexions théoriques sur le genre dans les études littéraires et cinématographiques ont tout de même réussi à « sortir la notion des présupposés d’universalité » (2010, p.2) qui ont permis de créer des catégories au moment d’« étudier un genre à travers un ensemble d’œuvres qui le mobilisent [et] d’identifier ce que chaque objet apporte au genre » (Ibid, p.3). Ces présupposés d’universalités des genres seront utiles à Arsenault lorsqu’il mettra en pratique l’analyse de « l’ensemble des genres qui […] sont mobilisés » (Ibid,) dans les jeux Diablo (Blizzard North, 1997) et Resident Evil (Capcom, 1996) puisqu’il posera les conditions qui permettent de qualifier un jeu de Survival Horror Game avant de se lancer dans l’analyse croisée de ces deux titres.

Comme l’explique l’auteur : « les genres ne sont pas fixés par une quelconque autorité, mais sont des constructions issues d’un ‘‘consensus mou’’ social et culturel, et sont foncièrement opératoires plutôt qu’investis d’une rigueur descriptive ou analytique » (Ibid, p.2). Aussi, Arsenault s’inspire de l’étude cinématographique du genre de Rick Altman pour expliquer la différence entre les genres sémantique et syntaxique, qu’il renommera « genre thématique/genre ludique » (Ibid, p.5) : 

Un genre sémantique est identifié par les contenus qu’il met en place, incluant les situations narratives, l’iconographie, les archétypes de personnages, et ainsi de suite; le genre syntaxique, lui, est fondé sur la mise en relation et la structuration de ces éléments. (Ibid, p.2)

En se basant sur des écrits de Jacques Derrida sur l’hybridité des genres, Arsenault explique cependant que l’approche exclusive des genres ne peut pas rendre compte « de l’hybridité foisonnante de genre à l’intérieur de chaque œuvre » (Ibid, p.3). Pour le démontrer, Arsenault utilise l’exemple du film Alien de Ridley Scott, lequel n’est pas exclusivement un film de science-fiction puisqu’on y retrouve plusieurs « éléments d’horreur qui le font dévier d’une formule ‘‘classique’’ de la science-fiction telle que présupposées par la personne responsable de l’acte de détermination générique » (Ibid,). 

Si on prend un exemple plus contemporain, Assassin’s Creed Odyssey (Ubisoft, 2018) ne peut être rangé dans la catégorie fermée des jeux des stealth games puisqu’on y retrouve plusieurs mécaniques de jeu des RPG comme des dialogues à choix multiples, un système de quêtes principales et secondaires, de même qu’un tableau de compétences dans lequel le joueur investi des points gagnés lorsque son personnage monte de niveau. Pour Arsenault, il faut délaisser l’étude des genres au profit d’« une étude générique d’un objet » : « le genre est ainsi mis à contribution d’une analyse formelle, mais qui, loin de rester fermée sur l’œuvre, éclaire les mécanismes des genres eux-mêmes » (Ibid, p.3).

L’auteur postule qu’un genre « s’exprime toujours à travers un effet générique » (Ibid,), c’est-à-dire que les mécaniques de jeu produiront des effets (affectifs ou de sens) chez le joueur si celui-ci détient les connaissances encyclopédiques des genres nécessaires pour interpréter la séquence sémiotique proposée par l’objet. Se basant d’abord sur les genres de l’horreur et du gore au cinéma pour expliquer ce que sont les effets de genre, Arsenault « étend […] le concept à tous les genres » (Ibid, p.4). 

C’est ainsi que l’auteur aborde la différence entre les effets de genre affectifs — comme le dégoût, la peur ou l’émerveillement — et les effets génériques « dans l’expérience pragmatique de réception » (Ibid.) qui servent à préciser les attentes du joueur et « contribueront à […] disposer [le joueur] favorablement à la suite de la séquence sémiotique » (Ibid,) produite par le jeu d’un point de vue performatif. 

Ce qui est à retenir de l’analyse comparative des jeux Diablo et Resident Evil, qui constituent les deux dernières parties du texte d’Arsenault, c’est la définition des concepts de fréquence, étendue, densité et résonnance : la fréquence « est une simple mesure quantitative » (Ibid, p.10) d’un marqueur (ou d’un effet) générique dans l’expérience vidéoludique, l’étendue est la portion de temps durant laquelle se manifeste un marqueur générique (Ibid,), la densité se caractérise par l’accumulation d’éléments (ou de marqueurs) génériques lors d’une séquence sémiotique, alors que la résonnance est la persistance d’un effet générique, à savoir « sa capacité à se prolonger au-delà d’une portion donnée de la séquence sémiotique […] qui caractérise l’effet au-delà de sa durée, selon sa portée sur la suite de l’expérience [vidéoludique] » (Ibid, p.13). 

Les marqueurs génériques qu’Arsenault identifie dans son analyse sont tous des mécaniques de jeu (dialogues, interfaces, musiques, cinématiques, systèmes de gestion de l’inventaire, perspectives visuelles, etc.) qui sont mises en relation pour considérer les effets affectifs ou interprétatifs qu’elles occasionnent chez le joueur. Arsenault est contre l’idée d’établir des genres selon des mécaniques de jeu que l’on associerait exclusivement à certains types de jouabilité ou à certains thèmes. Comme il le mentionne dans son doctorat :

Étudier le genre par l’approche de la pragmatique des effets génériques nous permet de cerner les rouages de son fonctionnement et de se soustraire aux impossibles typologies fondées sur des mécaniques de jeu en faisant le pont avec l’expérience de jeu individuelle, qui peut être dans une certaine mesure universalisée. (2011, p. 332)

En somme, ces réflexions entourant les effets de genre sont intéressantes lorsqu’on se place du point de vue de l’étude des mécaniques de jeux vidéo comme elles sont pensées dans le cadre du groupe de recherche Homo Ludens dans la mesure où les concepts amenés par Arsenault (la fréquence, la durée, la résonnance et la densité des effets génériques) servent des études au cas par cas, plutôt que de généraliser des catégories formelles dans lesquelles on tenterait de faire entrer tel ou tel jeu.

Éric Lancelot-Dupuis est doctorant en études sémiotiques à l’Université du Québec à Montréal.

Bibliographie

Arsenault, Dominic, « Introduction à la pragmatique des effets génériques : l’horreur dans tous ses états », Loading… Journal of the Canadian Game Studies Association, Vol. 4 No 6, Special Issue. Thinking After Dark : Welcome to the World of Horror Video Games, 2010, 15 p., en ligne, <http://journals.sfu.ca/loading/index.php/loading/article/view/87>, consulté le 26 janvier 2020.

Arsenault, Dominic, Des typologies mécaniques à l’expérience esthétique : fonctions et mutations du genre dans le jeu vidéo, thèse de doctorat, Département d’histoire de l’art et d’études cinématographiques, Université de Montréal, 2011, 352 p., en ligne, <https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/handle/1866/5873>, consulté le 10 février 2020.