Penser les espaces dans le jeu vidéo à partir de Christopher Totten

Le chapitre 4 « Basic gamespaces » du livre de Totten An architectural approach to level design traite des différents types d’espace dans les jeux vidéo et de leur effet sur le joueur ou la joueuse. En effet, il est question des différents types d’organisation spatiale pour favoriser la planification de l’espace dans le jeu vidéo. Les espaces numériques comparativement aux espaces physiques ne suivent pas les mêmes règles. Il n’y a pas de température à respecter, de géographie, de régulations de zonage ou de règles structurales. L’espace du jeu vidéo va plutôt devoir suivre des conditions telles que les mouvements du joueur ou de la joueuse, les événements narratifs et les mécaniques de jeu.

L’espace dans le jeu vidéo peut être pensé comme une perception figure-fond. En architecture, cette forme va être exploitée afin de présenter des contrastes spatiaux, qu’il s’agisse de représenter l’espace entre les murs ou les rues et les espaces occupés (par de l’habitation ou des parcs) dans un plan en urbanisme. Cette technique peut même être exploitée afin de créer une répétition dans l’espace afin de guider le joueur ou la joueuse et lui faire anticiper certaines zones (par exemple, les boîtes en hauteur dans Super Mario bros. vont indiquer qu’il peut y avoir quelque chose au-delà du cadre du jeu, possiblement des trésors comme des raccourcis dans le niveau ou des « 1 ups »).

Le même principe peut être réutilisé avec le contraste forme-vide. Ce principe va être utilisé particulièrement avec les volumes 3D. Les formes-vides vont permettre de représenter des espaces qui pourraient abriter le joueur ou la joueuse, tout comme abriter des trésors…

Différents types d’espace

D’abord, la notion d’arrivées est introduite dans ce chapitre. Les arrivées permettent de planifier un chemin logique dans l’espace de jeu, ce qui va pousser le joueur ou la joueuse vers une autre direction (ou plutôt vers la prochaine direction) et où sera fait le choix du chemin à prendre. L’expérience spatiale d’une arrivée dépend de l’expérience spatiale qui la précède. Si le joueur ou la joueuse aboutit dans une pièce gigantesque, il devrait y avoir une pièce beaucoup plus petite pour que son expérience de la grande pièce soit plus grandiose (en créant une sorte d’anticipation). Les espaces lumineux devraient être remplacés par de l’obscurité, les espaces sécuritaires par des espaces dangereux, les espaces vides par des espaces remplis, etc. Il s’agit d’un concept spatial qui a été utilisé pour le lobby du Hyatt Regency Atlanta Hotel, le Temple of Time de Zelda: Ocarina of Time et même pour l’Acropole.

Le Genius Loci est également présenté par Totten. Il s’agit d’un concept spatial qui pourrait être résumé à « donner une âme » à un espace. C’est par l’art de l’environnement, l’éclairage et les effets sonores que le genius loci sera représenté dans un niveau de jeu.

Ensuite, les différents types classiques d’espaces de jeu à travers l’histoire sont présentés. Le labyrinthe qui provient de la mythologie grecque peut être utilisé afin de concevoir des expériences de jeu vidéo spécifiques. Même si le chemin de ce modèle est très linéaire, c’est par ses tournants secs et cette espèce de peur de l’inconnu que le labyrinthe peut tout de même créer une expérience intéressante.

Le maze qui, contrairement au labyrinthe, ne sera pas aussi simpliste dans sa forme, est multidirectionnel. Les chemins seront plus complexes et vont pousser l’utilisateur ou l’utilisatrice à une plus grande exploration. L’exemple du « labyrinthe » (ou maze) de Versailles va être utilisé comme exemple, car il présentait un chemin complexe où 39 statues aidaient au déplacement en servant de point de repère.

Le rhizome est un autre type d’espace qui possède la qualité où tous les points du système sont interconnectés entre eux. Aussi, chacun de ces points peut être accédé à partir de n’importe où, pour aller n’importe où. Il s’agit d’un modèle qui a servi à décrire Internet. Dans le jeu vidéo, il va s’agir d’un système de navigation à partir de cartes comme le fast travel dans un jeu vidéo comme Skyrim.

Puis, l’idée des dimensions des espaces et de leurs effets sur le joueur ou la joueuse est expliquée par Totten. Les espaces restreints créent de la tension au niveau du jeu vidéo et ce, dû au manque d’espace. L’espace devient donc lui-même une ressource désirable. Sous ce modèle, il devient donc une source de conflit (puisque des ennemis veulent l’occuper). Les espaces restreints sont des lieux idéaux afin de créer des pièges et des embuscades.

De leur côté, les espaces intimes sont des espaces appropriés afin de favoriser le déplacement du joueur ou la joueuse – un espace qui n’est pas trop grand ou trop petit. Dans un espace intime, les surfaces ou les éléments d’interaction sont à la portée des possibilités de mouvement de l’avatar du joueur ou la joueuse. Il va s’agir d’espaces pour que le joueur ou la joueuse puisse reprendre son souffle après une séquence de jouabilité mouvementée ou d’espaces où le joueur ou la joueuse va pouvoir se familiariser avec les différentes mécaniques de jeu, souvent reliées au mouvement de son avatar.

Il y a aussi l’espace de prospection qui tire son nom de la préhistoire lorsque l’humain devait risquer sa vie afin de trouver de l’eau et de la nourriture dans le mode de vie chasseur-cueilleur, puisqu’il était exposé aux éléments et aux prédateurs. Il s’agit donc d’une relation chasseur-proie. L’espace de prospection prend plusieurs formes : dans les jeux multijoueurs, il va s’agir de l’espace où existe une situation où un joueur ou une joueuse va bénéficier d’un certain avantage contre les autres joueurs et joueuses. Dans un jeu solo, les espaces où se produisent les Boss fights vont généralement être des espaces de prospection, puisque même si le joueur ou la joueuse peut bien se mouvoir dans ce type d’espace, il ou elle va être en proie à des attaques dévastatrices du Boss et ne pourra pas utiliser l’espace à son avantage. Les espaces de prospection vont transmettre un sentiment d’agoraphobie chez le joueur ou la joueuse.

L’auteur présente ensuite des méthodes d’organisation de l’espace afin de planifier la composition de l’image du jeu vidéo : comment, en utilisant les diagrammes moléculaires (un concept détourné des diagrammes de proximité du domaine de l’architecture), est-il possible de conceptualiser rapidement l’aménagement d’un espace de jeu? C’est en signifiant l’importance des relations entre chaque élément et des points de vue du joueur ou de la joueuse en rapport à ceux-ci que ces diagrammes vont permettre une conceptualisation efficace.

Quant au Steiner point, il s’agit d’une méthode pour conceptualiser des raccourcis dans l’espace de jeu afin de favoriser l’expérience du jeu en motivant le joueur ou la joueuse à l’exploration de l’espace dans le but de trouver ces points.

De son côté, l’espace carrefour (hub) est un espace utile à la navigation pour le joueur ou la joueuse. Il s’agit d’un carrefour pour les différents niveaux de jeu, où ceux-ci représentent les embranchements ou chemins possibles. Généralement, il s’agit d’espaces sécuritaires pour le joueur ou la joueuse qui peut alors tester les mécaniques de jeu sans encombrement.

L’auteur montre aussi que des ennemis sous forme de personnages peuvent être utilisées afin de remplacer des murs afin de bloquer la progression du joueur ou de la joueuse. Cette méthode est favorable afin de laisser paraître un semblant de « vie » dans le niveau de jeu.

En ce sens, Totten présente des méthodes afin de planifier le déplacement du joueur ou la joueuse dans les espaces de type « Open Worlds ». Une méthode efficace, développée par Walt Disney, consistait à placer des structures ou bâtiments intéressants au regard près de l’entrée de certaines sections du parc, afin d’inciter les visiteurs à se déplacer d’une section à l’autre. Ces structures facilitent  alors le déplacement des visiteurs en permettant de s’orienter dans l’espace et ce, d’un simple coup d’œil. Ces constructions de Disney, pratiques à l’orientation, ont été baptisées les « architectural weenies »

Une de ces formes d’architectural weenies est le point d’intérêt ou landmark. Il s’agit souvent d’une construction immense qui sera vue depuis une bonne distance par le joueur ou la joueuse lui permettant de s’orienter dans l’espace du jeu vidéo.

Par ailleurs, des chemins ou paths permettent au joueur ou la joueuse de reconnaître un parcours précis. Ces chemins vont souvent être représentés par des détails géographiques subtils afin de guider le joueur ou la joueuse, par exemple par des chemins de terre, des rivières ou des pancartes de voyage.

Dans les espaces urbains, des intersections ou nodes aux chemins proposent des opportunités d’interaction aux usagers et usagères. Ils peuvent être des points guides (comme lorsque l’on décrit à quelqu’un un endroit en lui donnant les coins de rue). Ils peuvent être aussi des endroits où les gens s’arrêtent et interagissent. Les intersections peuvent être le lieu où les points d’intérêt résident.

Une autre forme d’espace est celle de la bordure ou edges. Elles sont bien souvent présentes afin de montrer un changement dans le style artistique du monde. Le style architectural des lieux peut changer graduellement ou les modèles de la végétation peuvent être modifiés. Une transition rapide peut marquer une bordure bien définie et peut être accompagnée d’éléments architecturaux, puisque les éléments du paysage changent rarement rapidement. La transition rapide peut être pratique pour montrer un lieu où il y aurait une activité importante au niveau de la jouabilité. La transition graduelle peut être utilisée afin d’établir une tension dans l’expérience de jeu.

Finalement, il peut être pratique de fragmenter les différents architectural weenies sous forme de districts, un peu comme l’a fait Disney avec son parc. Séparer l’espace de cette façon permet d’ajouter des thématiques ou de la jouabilité bien particulière à certains endroits.

La dernière partie de cette présentation exhaustive des espaces concerne les différentes caméras les plus utilisées lors de la conception de jeux vidéo. Plusieurs méthodologies de travail sont possibles en fonction des différentes caméras, selon ces points de vue : première personne, troisième personne, de côté, de haut, axonométrique.

Pour plus de détail : TOTTEN, Christopher W., An architectural approach to level design, United States, CRC Press, 2014.