La forme en design suit-elle encore la fonction de l’objet?

Un article est apparu sur le site Gamasutra en 2012 qui s’intitulait : « Rational Design : The Core of Rayman Origins ». Cet article présentait des méthodes afin de penser la création de niveaux de jeux vidéo, principalement des méthodes détournées de la célèbre phrase de Louis Sullivan : « form follows function ». Depuis la parution de cet article, en discutant avec plusieurs designers de niveaux et collègues à l’école où j’enseigne, ils m’ont mentionné à quel point cette méthode était « parfaite » afin d’assurer la création de niveaux de jeu où, fondamentalement, tout était centré autour des mécaniques de jeu, pour que le joueur soit toujours en moyen d’interagir avec l’interface. Dans leur discours, il semble que le traitement visuel soit peu important, ou plutôt, secondaire. Cette dernière phrase est quelque chose qui me trouble. Donc, pour comprendre le phénomène, j’ai décidé de me renseigner davantage sur l’idée du form follows function en design et comprendre pourquoi les ingénieurs-programmeurs et level designers semblent autant apprécier la formule.

Why form no longer follows function

Qui était Louis Sullivan ? Un architecte moderniste de l’époque du Corbusier et Mies Van Der Rohe. La phrase est apparue dans l’ouvrage de 1896 appelé : « The Tall Office Building Artistically Considered ». La phrase est de nos jours mal représentée, puisqu’il s’agit en vrai de : form ever follows function… L’idée que Sullivan a tenté de transmettre est que les qualités (taille, style et construction) d’une structure construite par l’humain, d’un simple objet à un immense immeuble, devraient être définies par leur fonction, leurs buts (purpose).

Ensuite, des exemples ont été présentés sous forme d’images. Il s’agissait d’images d’une cuillère et d’une chaise. Ces deux images ont permis d’expliquer que, par la forme des objets représentés, il est possible de rapidement comprendre leur utilité. Cependant, qu’en est-il pour les appareils électroniques du vingtième siècle, comme la radio et la télévision ? Il va être prouvé que, par l’apparence de ces objets, il est possible de tout de même reconnaître une utilisation.

À l’époque où Sullivan a décrit son concept, les théories darwinistes étaient très en vogue. Ce concept de « survival of the fittest » dans la nature. Alors il semblait logique à Sullivan de l’appliquer aux objets industriels, surtout parce que plusieurs objets « naturels » possèdent un « design » très ingénieux. L’exemple de la banane a été donné. Il s’agit d’un fruit facile à ouvrir, biodégradable, dont la pelure protège la chair à l’intérieur et qui est intéressant à regarder par sa texture et couleur.

Le courant moderniste a aussi influencé Sullivan. Il s’agit d’un courant où des designs simples étaient encouragés. La décoration ne devait pas venir menacer l’usage des objets. « Ne pas faire pour rien » est un cliché moderniste qui peut être attribué à Mies pour sa célèbre phrase : « Less is more ».

L’arrivée des interfaces numériques

Entre les années 50 et 70, les objets construits, du tourne-disque à l’extracteur à jus, possédaient des interfaces tactiles plutôt efficaces, malgré la tâche colossale que fut de créer leur design. Il est annoncé que, pour la génération suivante de designers la tâche allait se complexifier, puisque les interfaces vont commencer à migrer peu à peu vers le numérique. Il va être question de la loi de Moore, où les objets sont toujours plus puissants et ne cessent de diminuer en taille.

Il est démontré par l’évolution des ordinateurs que leurs interfaces sont, au début, extrêmement complexes, utilisables seulement par des programmeurs, pour finalement être raffinées par des hobbystes comme Steve Jobs et Steve Wozniak.

Le téléphone intelligent atteindra une puissance inégalée par sa connectivité à un réseau sans-fils. Il va y avoir une tendance émergente de l’utilisation de ces appareils, où l’interface doit devenir toujours plus simple d’utilisation malgré l’incroyable complexité de l’appareil. C’est grâce à ce phénomène que va naître le travail de « user interface designer » ou concepteur d’interfaces usagers. 

Un mauvais design de « U.I. » sur ces objets complexes va immédiatement frustrer l’utilisateur.

Ces interfaces vont rompre le lien avec le form follows function de Sullivan, en trouvant de nouveaux moyens de communication dans une relation humain-machine. Quelques phénomènes vont se démarquer à partir de ce nouveau paradigme : l’importance grandissante en design de penser la facilité d’interaction avec un objet, spécialement pour tout ce qui est numérique. L’obsession de la simplicité, ou plutôt l’illusion de simplicité. Plusieurs produits familiers utilisés dans les dernières années sont voués à disparaître, puisqu’ils vont pouvoir être opérés à partir d’un téléphone intelligent.

Cependant, certains d’entre eux vont être rescapés de ce remplacement par un lien affectif quasi sensuel. Cela va être expliqué par David Rothenberg comme étant l’« aesthetic selection » et « the survival of the beautiful ». L’exemple donné va être le livre possédant une belle couverture et des pages douces…

Finalement, une transformation dans la valeur des objets va apparaître, puisque, par le passé, il existait une relation entre dimension, poids, puissance et valeur d’un objet. Or, avec la loi de Moore et les objets numériques, cette conception ne tiendra plus et il faudra la remplacer.

Pour plus de détail : RAWSTHORNE, Alice, Hello World : where design meets life, Londres, Penguin Group, 2013, 228 Pages (Édition Kindle).