Mario Party Superstar

La sociodiversité des 10 jeux vidéo tous publics les plus vendus en 2021

Les jeux vidéo ont la réputation de manquer de sociodiversité, en particulier en raison de la sous-représentation féminine, qui s’avère indéniable, car quantifiée. Dans ce qui pourrait apparaître comme une énième étude quantitative, nous présenterons des données sur d’autres discriminations que le sexisme, à savoir le racisme, l’âgisme et celles portant atteinte à la diversité corporelle.

Avant d’introduire notre recherche, commençons par citer des données préexistantes sur la minorisation féminine. En 1998, Tracy Dietz (1998, p. 425) publiait que, sur 33 jeux vidéo, 41 % sont dénués de personnages féminins. En 2001, Christina Glaubke et al (2001, p. 283) recensaient que, sur 1716 personnages dans 70 jeux vidéo distincts, seuls 17 % étaient féminins. Et seulement 22 % des personnages féminins contrôlables étaient racisés. Berrin Beasley et Tracy Standley (2002, p. 288) relevaient que, sur 597 personnages de 47 jeux vidéo différents, seulement 13,74 % étaient féminins et que 80,5 % portaient un vêtement décolleté. En comparaison, 14,29 % des personnages masculins revêtaient un « he-vage » ou « male cleavage ». En d’autres termes, c’est un vêtement suffisamment échancré pour que leurs pectoraux soient visibles. Edward Downs et Stacy Smith (2010, p. 728) dénombraient pour leur part que, sur 498 personnages de 60 jeux vidéo différents, 14 % sont féminins et que 43 % d’entre eux apparaissaient partiellement ou intégralement nus ; 4 % des hommes sont visibles partiellement ou intégralement nus. Downs et Smith ont également fourni des pourcentages basés sur l’apparent race : 50 % des 498 personnages sont « Caucasiens », 21 % « Africains », 7 % « Asiatiques/Insulaires du Pacifique » (après vérification de notre part, il n’y a aucun personnage du Pacifique), 3 % « Hispaniques ». 19 % ont été classés dans la catégorie « indéterminée » ou « non applicable », comme les robots. 0 % des personnages ont été recensés dans la catégorie « autochtones d’Amérique ».

Tous ces chiffres reflètent avant tout la sous-représentation féminine, qui peut s’expliquer par le fait que les jeux vidéo restent (historiquement) conçus « en grande majorité par des hommes pour des hommes » (Triclot, 2015, p. 20), non racisés et hétérosexuels. Si contrer l’invisibilisation des femmes a toujours été un combat mené par le féminisme vidéoludique, ce dernier se focalisait en revanche sur « les femmes hétérosexuelles blanches » (Trépanier-Jobin, 2017, p. 12). Il fallut attendre la troisième vague du féminisme vidéoludique pour obtenir plus d’inclusivité à travers la reconnaissance de l’intersectionnalité et la théorie queer pour lutter contre l’hétérocisnormativité et le racisme.

Remarquons néanmoins que certaines « constructions invisibles » (Richard, 2016, p. 81) restent occultées. Prenons l’exemple de l’orientation romantique : autant l’hétérosexualité normative est ici soulignée, autant il semble admis qu’une personne hétérosexuelle soit immanquablement hétéroromantique. Et inversement, à savoir qu’être hétéroromantique signifierait être hétérosexuel. Nous reconnaissons l’importance de s’intéresser aux « constructions invisibles » (Richard, 2016, p. 81). Toutefois, notre article se focalise sur celles qui sont visibles, comme l’apparence physique, la racialisation et l’identité de genre, réelle ou supposée.

Nous avons conscience que ni les Princesses Peach, Daisy et Harmonie, ni les frères Mario et Luigi, entre autres, ne sont exprimé.e.s sur leur santé mentale, leur identité de genre, leurs orientations romantiques et sexuelles, etc. Pour autant, nous allons présumer le genre des personnages, car dénier un genre aux personnages reviendrait à ne leur attribuer qu’un sexe, mâle ou femelle, comme pour les autres animaux, ce qui relève de la colonialité du genre. Théorisée par la féministe décoloniale María Lugones (2022, p. 55), cette forme de colonialité dénigre les personnes sexisées en leur déniant un genre. De ce fait, nous choisissons délibérément de présumer tous les personnages cisgenres, sauf mentions contraires, plutôt que de procéder à de la « sexisation » (Martínez Andrade, 2017, p. 155).

Corpus et méthodologie

Comme le soulignent Beasley et Standley (2009, p. 282), les études sur les représentations dans le jeu vidéo sont vite dépassées par le nombre de nouveaux jeux conçus chaque année. Nous en avions conscience lors de la réalisation de notre corpus, lequel se compose des 10 jeux vidéo tous publics les plus vendus à travers le monde en 2021 (Video Game Sales Wiki, 2023). Par tous publics, nous désignons les jeux classés « E » (enfants et adultes) par l’ESRB au Canada, aux États-Unis et au Mexique, dont l’équivalent en Europe sont les PEGI3 et PEGI7, à partir de 3 ans ou 7 ans.

Nous avons joué, puis analysé les 15 premières minutes de chacun des jeux du corpus : Big Brain Academy: Brain vs. Brain (Nintendo, 2021), Bowser’s Fury (Nintendo, 2021), Farming Simulator 22 (GIANTS Software, 2021), FIFA 22 (EA, 2021), Game Builder Garage (Nintendo, 2021), Mario Golf: Super Rush (Nintendo, 2021), Mario Party Superstars (Nintendo, 2021), New Pokémon Snap (Bandai Namco, 2021), Pokémon Diamant Étincelant et Pokémon Perle Scintillante (ILCA, 2021) et Super Mario 3D World (Nintendo, 2021).

Des chiffres, de la minorisation sexuelle et de l’invisibilisation raciale

Nous avons recensé un total de 59 personnages jouables dans les 10 jeux différents : 39 sont masculins et 20 sont féminins. Notons qu’un protagoniste comme Mario, présent dans 4 jeux distincts, a été compté 4 fois, représentant alors 4 personnages. En arrondissant les pourcentages, les personnages masculins composent 66 % du corpus et les personnages féminins, 34 %. Sur les 59 personnages, 30 sont des personnages jouables. Les héroïnes sont alors deux fois moins nombreuses, puisque le nombre de personnages féminins jouables s’élève à 10, contre 20 personnages masculins jouables. Les personnages non humains s’élèvent à 22, et 6 d’entre eux sont féminins. Le groupe non humain.e.s compte trois fois plus de membres que celui des racisé.e.s. Les Pokémon n’ont pas été recensé.e.s, car leur sexe peut varier d’une partie à l’autre, au lieu d’être immuable comme celui de la Princesse Peach par exemple.

En effet, les personnages racisés sont quasiment invisibilisés, puisqu’ils ne constituent que 1 %, ou 7 personnages, du corpus : 4 sont féminins, 3 sont masculins, 0 sont jouables, 6 sont dans FIFA 22. Cette invisibilisation raciale est accentuée par la faible diversité au sein des 7 personnages. Les 4 personnages basés sur de réel.le.s joueur.euse.s sont afrodescendant.e.s ou d’ascendances maghrébines. 3 autres personnages peuvent être racialisés en raison de leur apparence : dans FIFA 22, le fan Jean, probablement afrodescendant, la manager Beatriz Villanova, peut-être originaire d’Argentine[1]. Puis, il y a aussi l’assistante du professeur de New Pokémon Snap, Rita. Sans que les origines de Rita soient précisées, une doubleuse afro-portoricaine, Anairis Quiñones, a été choisie pour l’incarner lors de la localisation du jeu aux États-Unis. Dans la version originale, Rita est doublée par la Japonaise Numakura Manami, déjà habituée à prêter sa voix pour la franchise Pokémon.

Marie-Antoinette Katoto récupère le ballon dans FIFA 22

Figure 1 : Marie-Antoinette Katoto récupère le ballon dans FIFA 22 (EA, 2021)

Sur les 59 personnages, 43 ont une chevelure ; 1 personnage féminin et 1 personnage masculin ont des cheveux texturés. Il s’agit des joueur.euse.s de football Marie-Antoinette Katoto et Kylian Mbappé dans FIFA 22. Dans le même jeu, 2 hommes ont le crâne rasé. Dans notre corpus, les autres personnages sans chevelure (apparente) sont non humains. Parmi les 36 personnages humains, 99 % des protagonistes féminins ont le nez pointu. Le pourcentage est de 45 % chez les personnages masculins, ce qui ne reflète pas une diversité de représentation raciale, puisque ce pourcentage est dû à la fréquence de Mario, Luigi et Wario dans le corpus. Et ces personnages non racisés ont des nez ronds imposants. Au total, 54 % des humain.e.s ont le nez pointu. Par ailleurs, tous les personnages humains sont minces, à l’exception de Wario qui apparaît dans 2 jeux (Mario Golf: Super Rush et Mario Party Superstars) et de Mario, présent dans 4 jeux (Bowser’s Fury, Mario Golf: Super Rush, Mario Party Superstars et Super Mario 3D World).

Ces résultats quantitatifs démontrent la minorisation des personnages féminins (34 %) et de l’invisibilisation des personnages racisés (1 %). La diversité corporelle est quasi-inexistante, avec seulement 2 protagonistes sur 59 à la chevelure texturée, 7 à ne pas avoir la peau blanche et 0 protagoniste avec des plis épicanthiques (communément appelés « yeux bridés »). L’écrasante majorité des humain.e.s sont minces et aucun des 59 personnages n’a de handicap physique visible. Aucun personnage féminin ne présente de signe de vieillesse, et seulement trois personnages masculins paraissent d’âge mûr. Le corpus trahit visiblement des biais sexistes, racistes, texturistes, validistes, âgistes et grossophobes. Cependant, son étude demeure incomplète sans l’inclusion des avatars qu’il est possible de créer soi-même.

Des goûts et des couleurs : la personnalisation des avatars

Les 6 jeux qui permettent de personnaliser son avatar — Big Brain Academy: Brain vs. Brain, Farming Simulator 22, FIFA 22, Mario Golf: Super Rush, New Pokémon Snap et Pokémon Diamant Étincelant et Pokémon Perle Scintillante — offrent tous la possibilité de créer des avatars racisés. 30 avatars sur les 51 proposés sont racisés. Par défaut, le tout premier avatar proposé est toujours non racisé.

Dans les jeux de la série Pokémon du corpus, la personnalisation de l’avatar se limite à un seul type de visage, à un seul modèle de coiffure. Seule la pigmentation dépend du choix des joueur.euse.s : couleur des cheveux, des yeux et de la peau. À ce sujet, la sortie de Pokémon Soleil et Pokémon Lune en 2016 avait marqué un tournant dans l’histoire de Pokémon, car, pour la première fois, il devenait possible de jouer avec un avatar à la peau noire. La raison de cette opportunité tardive est peut-être liée au colorisme en vigueur au Japon, où déclarer à quelqu’un que sa peau est « noire » est reçu comme une insulte (Ashikari, 2005, p. 75).

les avatars dans Pokémon Diamant étincelant et Pokémon Perle scintillante

Figure 2 : les avatars dans Pokémon Diamant étincelant et Pokémon Perle scintillante (ILCA, 2021).

Par « noire », nous désignons ici, une carnation qui « échoue » au « test du papier kraft » (Mitchell, 2020, p. 1368). Ce test coloriste consistait à déterminer l’in/admissibilité d’une personne en comparant sa couleur de peau à celle d’un papier kraft, avoir une peau plus foncée étant synonyme de rejet. Un rejet qui peut aller jusqu’à l’interdiction d’entrer dans certains lieux. Le Cotton Club à New York était réputé pour faire passer le test du papier kraft à l’entrée. Toutefois, lorsque la professeure de littérature afrodescendante Audrey Elisa Kerr (2006, p. 284) a interrogé le propriétaire du Cotton Club à ce sujet, il répondit que la rumeur était infondée, puisque le club originel, ouvert en 1923, n’acceptait aucune personne afrodescendante. Le test du papier kraft demeure cependant un outil méthodologique pour évaluer le colorisme des médias. Talé Mitchell (2020, p. 1373 à 1376), qui a analysé 998 publicités sous la loupe du test du papier kraft, a ainsi relevé que 69,44 % des mannequins représentées « réussissent » le test.

Pour en revenir à la série Pokémon, la sortie des jeux Pokémon Écarlate et Pokémon Violet en 2022 a également marqué un tournant dans l’histoire de la franchise, puisque la personnalisation des avatars s’est grandement enrichie. Il est désormais possible de choisir la forme des traits du visage et différentes coiffures dès la création de l’avatar. Ce n’était pas encore le cas dans New Pokémon Snap et Pokémon Diamant Étincelant et Pokémon Perle Scintillante. Tous les avatars y avaient le même nez pointu, de grands yeux similaires et des cheveux lisses.

Farming Simulator 22 propose 12 avatars au total : 8 sont racisés et n’ont pas le nez pointu, et deux avatars possèdent des plis épicanthiques. Les 16 coiffures disponibles sont uniquement composées de cheveux lisses. De son côté, dans Mario Golf : Super Rush, les joueur.euse.s peuvent choisir entre 3 nez ronds ou plats, sur 18 modèles, pour leurs avatars, et disposent de seulement 3 coiffures avec des cheveux texturés sur les 150 coiffures existantes. Autant dire qu’il s’agit d’une goutte d’eau dans l’océan. Par rapport au nombre d’avatars, FIFA 22 se démarque en proposant 15 avatars racisés sur 20, 10 nez pointus, 7 avatars avec des cheveux texturés et 3 avatars avec des plis épicanthiques.

Dans Big Brain Academy : Brain vs. Brain, il est impossible de changer le nez pointu de l’avatar. Sur les 32 coiffures disponibles, 27 coupes comportent des cheveux lisses. Sur les 5 autres, 1 offre la possibilité de ne pas avoir de cheveux du tout. Soulignons par ailleurs qu’il n’est jamais question de ni de sexe ni de genre dans Big Brain Academy : Brain vs. Brain. Les joueur.euse.s sont invité.e.s à choisir un « style » et à déterminer leur « apparence » : couleur de peau, coiffure, vêtement, et leur potentielle « pilosité faciale » (facial hair). Cette dénomination neutre remplace alors les étiquettes connotées que sont « moustache » et « barbe ».

la personnalisation de l’avatar dans Big Brain Academy : Brain vs. Brain la personnalisation de l’avatar dans Big Brain Academy : Brain vs. Brain

Figure 3 : la personnalisation de l’avatar dans Big Brain Academy : Brain vs. Brain (Nintendo, 2021)

De nouveau, force est de constater une faible diversité corporelle. Tout d’abord, les joueur.euse.s n’ont pas la possibilité de modifier la silhouette de leurs avatars, immanquablement minces et valides, ni de les personnaliser avec des signes de vieillesse, sauf lors de la création d’un.e Mii dans Mario Golf : Super Rush. Ensuite, sur le total de tous les avatars personnalisables, les chevelures texturées sont quasi inexistantes, puisqu’elles sont représentées par 11 coiffures sur 210, ou 5 % à l’arrondi. Sur les 95 formes des yeux proposées au total, 12 %, ou 12 choix, représentent des plis épicanthiques. Sur les 55 choix de nez, 21 ou 38 % ne sont pas pointus. Quant aux couleurs de peau des avatars racisés, 41 sur 61, soit 68 %, « réussissent » le test du papier kraft. Notons néanmoins que la parité est de mise entre les avatars, hormis dans Big Brain Academy : Brain vs. Brain où les notions de sexe et de genre sont abolies. Aussi, les avatars racisés ne sont pas minorés, puisqu’ils comptent pour 30 avatars sur 51. Toutefois, les jeux proposent toujours par défaut des avatars masculins et non racisés.

Jouer avec plus ou moins de tissu

Ce ne fut pas précisé jusqu’alors, mais les personnages sont vêtus. Ici, nous n’allons pas analyser l’ensemble des protagonistes et leurs tenues, mais plutôt nous focaliser sur les jeux où les personnages féminins comme masculins réalisent des activités identiques. Big Brain Academy: Brain vs. Brain a donc été écarté, car les personnages y sont asexués et agenres. Game Builder Garage aussi, puisque les vêtements y sont inexistants, et Bowser’s Fury, car aucun personnage féminin n’apparaît durant les 15 premières minutes de jeu. Notre objectif était d’établir si, pour une même activité, les personnages sont vêtus de la même façon ou s’il subsiste des disparités entre les quantités de tissu qu’ils portent, selon que le personnage soit féminin ou masculin.

Alors que Mario et Luigi portent des pantalons, Daisy joue en mini-short et Peach en mini-jupe dans Mario Golf : Super Rush. Si les joueur.euse.s choisissent un.e Mii (personnage personnalisé), la tenue masculine se compose d’un pantalon, mais la tenue féminine d’une mini-jupe. Pauline fait exception, puisqu’elle porte également un pantalon. En revanche, contrairement à ses adversaires masculins, son polo dévoile ses épaules. Dès lors, pour jouer au golf, les joueuses sont moins vêtues que les joueurs. Dans Mario Party Superstars et Super Mario 3D World, les personnages se parent de leurs tenues signatures, c’est-à-dire des salopettes pour Mario, Luigi et Toad, et des robes si longues qu’elles touchent le sol pour Peach, Daisy et Harmonie, bien que de tels accoutrements se prêtent moins à leurs activités (nager, courir, bondir, etc.) que le choix vestimentaire de leurs pairs masculins.

Deux Miis sont vêtus pour jouer au golf.

Figure 4 : la tenue des Mii dans Mario Golf : Super Rush (Site officiel de Nintendo)

Il en va de même pour réaliser son rêve de devenir Maître Pokémon. Les dresseurs Louka et Barry courent, se faufilent dans les hautes herbes, sautent par-dessus des obstacles, explorent des zones enneigées en chandail et pantalon. Tandis qu’Aurore revêt une minirobe qui dévoile ses cuisses et ses épaules. Quand l’heure n’est pas au dressage de Pokémon, mais à la photographie, les héros portent un jogging, les héroïnes, une tenue moulante composée d’un mini-short par-dessus leurs collants.

Enfin, pour jouer au football dans FIFA 22, Thierry Henry, Kylian Mbappé et Marie-Antoinette Katoto arborent des tenues appropriées : ensemble de sport, short, haut de survêtement, polo, pantalon. Les personnages seraient logés à la même enseigne, si Lisa Freestyle (basée sur Lisa Zimouche) ne jouait pas en débardeur et en mini-short, donc avec nettement moins de tissu. Farming Simulator 22, en revanche, fait réellement figure d’exception, puisque les tenues sont quasiment identiques pour les avatars masculins et féminins, à ceci près que les tenues féminines ont des manches plus courtes.

En somme, dans FIFA 22, à l’exception de Marie-Antoinette Katoto, les 7 autres personnages féminins portent des atours plus révélateurs que les 8 personnages masculins. Elles sont donc moins vêtues que leurs pairs masculins pour réaliser la même activité, sans que le contexte ne puisse le justifier si ce n’est par la réitération du male gaze (Mulvey, 1975, p. 203), ce regard masculin fort récurrent dans les jeux vidéo (Trépanier-Jobin et Bonenfant, 2017, p. 38).

Des rôles et des stéréotypes sexistes

Loin de nous l’idée de passer sous silence les propos des personnages et leur agentivité. De ce fait, intéressons-nous à présent aux différents rôles qu’ils occupent. Tout comme pour l’analyse des tenues, ce ne sont pas tous les jeux du corpus qui se prêtent à cette partie de l’étude, à l’instar de Bowser’s Fury pour son absence de personnage féminin durant les 15 premières minutes, de Big Brain Academy : Brain vs. Brain et Farming Simulator 22 où les avatars ne sont qu’accessoires et de Mario Party Superstars qui ne comporte que des mini-jeux.

À travers les 6 autres jeux du corpus, nous avons recensé 11 personnages féminins et 15 personnages masculins. Parmi les personnages masculins se trouvent 3 professeurs, 1 antagoniste, 1 photographe de renom et son apprenti — et non son assistant —, 4 footballeurs, 1 fan et 2 golfeurs. Concernant les personnages féminins, il n’y a aucune antagoniste, 2 footballeuses et 1 golfeuse. Et de toute évidence, des stéréotypes genrés sur la féminité sont véhiculés étant donné que 2 personnages féminins sont des assistantes au service d’hommes, 3 sont des mères au foyer que l’on ne rencontre qu’à l’intérieur de la maison et 2 personnages réitèrent le trope de la demoiselle en détresse. Ce trope récurrent renvoie à l’idée que les femmes seraient naturellement faibles, passives et dépendantes des hommes, qui se devraient d’être forts, protecteurs et actifs (Trépanier-Jobin et Bonenfant, 2017, p. 29 et 30). De plus, avec un seul personnage féminin jouable, les femmes et les filles demeurent « dans l’histoire de quelqu’un d’autre », plus particulièrement celle d’un homme (De Lauretis, 1984, p. 109), dans des situations qui les assignent aux rôles d’assistante, de mère, de demoiselle en détresse ou de victime.

Bowser capture une fée dans une bouteille.

Figure 5 : Bowser et sa nouvelle victime dans Super Mario 3D World (Nintendo, 2021)

Une sociodiversité bien modeste

Indéniablement, nous devons admettre que 10 jeux vidéo forment un corpus restreint. Les données quantitatives recueillies n’en demeurent pas moins significatives. Nous allons désormais les présenter en regroupant les 110 personnages humains, avatars et non-avatars confondus. Les pourcentages sont arrondis au chiffre supérieur : 0 % des personnages ont un handicap physique visible, 6 % ne sont pas minces, 3 % présentent des signes de vieillesse, 6 % ont des cheveux texturés, 72 % ont le nez pointu, 8 % ont des plis épicanthiques et 66 % des racisé.e.s « réussissent » le test du papier kraft, ce qui signifie que leur peau est claire. Ces données reflètent clairement du validisme, de l’âgisme, de la grossophobie, du featurism, du texturisme et du colorisme.

Bien que la parité soit en vigueur entre les avatars, en considérant les données sans les avatars, les personnages féminins sont minorés. En effet, ce groupe représente 34 % du corpus et 1 personnage jouable sur 3 est féminin. Soulignons aussi que des stéréotypes genrés sont toujours véhiculés en fonction des rôles associés à la féminité : assistante, mère au foyer et demoiselle en détresse.

Par ailleurs, si les avatars racisés représentent 61 % du corpus, les non-avatars racisés ne comptent que pour 1 % du corpus et 0 % des personnages jouables. Le pourcentage est si minime qu’il est impossible de déterminer si des stéréotypes raciaux sont véhiculés. Notons que 6 personnages racisés sur les 7 apparaissent dans le même jeu, FIFA 22. 80 %, ou 4 d’entre eux, représentent des personnes réelles. De ce fait, il est légitime de douter d’un effort d’inclusion conscient de la part de l’équipe de conception. EA recopiait simplement la réalité à travers ces 4 personnages.

En conclusion, les 10 jeux vidéo les plus vendus de 2021 classés tous publics reflètent une faible diversité corporelle, une minorisation des personnages féminins et une invisibilisation des racisé.e.s. En d’autres termes, il s’agit d’une bien modeste sociodiversité. Le manque de représentation, d’inclusivité et de critiques envers les stéréotypes s’avère problématique pour quiconque est à la recherche de personnages qui lui ressemblent ou qui est en quête de modèles positifs. De surcroît, il s’avère qu’il existe un lien entre la sociodiversité et la biodiversité. Une faible sociodiversité défavoriserait une pensée envers la diversité dans son ensemble, ce qui aurait des impacts négatifs sur la biodiversité et ses enjeux : changements climatiques, extinctions… (Neves, 1995 ; Granberg, 2010 ; Zhang, Bu, Ju et Jing, 2022). Certes, plus de socio/biodiversité ne sera jamais suffisante pour sauver le monde, mais cela pourrait le rendre plus inclusif.

Références

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Biographie

Maeva Charre-Tchang 張 est doctorante en cotutelle entre l’UQAM et l’Université de la Polynésie française. Sa thèse porte sur la représentation (dé/coloniale) de la Polynésie dans les jeux vidéo.

[1] Nous considérons Beatriz Villanova comme racialisée/racisée en raison de sa couleur de peau et de la racialisation opérée envers les habitant.e.s de l’Argentine, y compris envers les Eurodescendant.e.s. Par exemple, la philosophe argentine eurodescendante et féministe décoloniale, María Lugones, vivait l’expérience d’être « à n’en pas douter blanche dans son pays mais racisée aux États-Unis » (Falquet, 2021, p. 76).