Utilisation des proxys dans Magic: The Gathering
Magic: The Gathering (MTG) est un jeu de cartes à collectionner (JCC) inventé en 1993 par Richard Garfield et la compagnie Wizards of the Coast (WoTC). MTG combine la dimension ludique des jeux de cartes et l’intérêt des cartes de collection, avec des cartes rares et exclusives alors c’est comme jouer à la dame de pique avec des cartes de hockey.
MTG est produit et distribué par Wizards of the Coast (WoTC), une filiale de Hasbro. Le jeu a été nommé le JCC le plus joué en 2016 par le livre des records Guinness avec 20 M de joueurs et est toujours particulièrement profitable, avec un revenu record de 581 M USD en 2020 (Parlock, 2021).
Comment est-ce que ça fonctionne MTG? Pour les règles du jeu, je vous invite à écouter ce vidéo explicatif, MTG est un jeu d’une grande complexité, mais les règles de base peuvent être expliquées en quelques minutes. Ceci dit, MTG en tant que système de jeu est indissociable de MTG en tant que modèle d’affaire, ce qui nous mène au prochain point.
Pour se procurer des cartes MTG, les joueurs doivent se procurer des cartes. Pour ce faire, les joueurs doivent se procurer des boosters. Il en existe plusieurs types, mais typiquement, il s’agit d’un paquet de 15 cartes aléatoires organisées en rareté. 11 cartes communes, 3 cartes non communes et une carte rare ou mythique. Ces boosters peuvent coûter jusqu’à 6 CAD chaque pour les éditions plus récentes et au-delà d’une centaine de dollars pour les plus anciennes éditions (Face to Face games, 2022). Si quelqu’un cherche une carte spécifique par contre, iel devra acheter des cartes individuelles dans des boutiques spécialisées et ces cartes peuvent coûter plusieurs centaines de milliers de dollars, dans les cas les plus extrêmes (Bolding, 2021). Ceci dit, les cartes plus récentes vont coûter de 25 sous à 150 dollars. Dans ces circonstances, le coût associé à la construction d’un deck de 60 ou 100 cartes peut rapidement devenir très élevé.
Une des alternatives à l’achat de cartes authentiques est la production de proxys. Essentiellement une carte proxy est la reproduction d’une carte authentique. Souvent, la proxy va prendre la forme d’une impression noir et blanc sur papier régulier, mais les cartes de meilleures factures seront imprimées sur du papier cartonné avec une impression couleur de haute fidélité. En termes de coût, faire une carte proxy prend du temps et, au plus dispendieux, quelques dollars.
Alors pourquoi ne pas tout le temps faire des proxys? D’une part, ils ne sont pas autorisés dans les évènements officiellement sanctionnés par WoTC, ce qui limite leur potentiel d’utilisation. D’autre part, les proxys se situent dans une zone légale grise, en effet, reproduire des cartes MTG, c’est un bris de propriété intellectuelle et pourrait être considéré comme de la contrefaçon. La position officielle de WoTC est que les proxys sont autorisés pour usage personnel et non commercial (Chase, 2016).
Nous avons donc les cartes officielles d’un côté, dispendieuses, authentiques, versatiles et légales. De l’autre côté, les proxys permettent d’utiliser les 20 000 cartes à faible coût, mais elles ne peuvent pas être utilisées dans tous les contextes et avec tout le monde. Pourquoi pas avec tout le monde? Parce que les proxys causent une scission profonde dans la communauté de MTG.
Effectivement, l’utilisation des proxys est une source de conflit récurrent dans la communauté de MTG, les groupes de jeu et les plateformes en ligne. Sur r/magictcg, le plus gros subreddit de MTG avec environ 600K membres, les discussions à propos des proxys sont proscrites. Dans certaines boutiques, l’utilisation de proxys est bannie à cause de la pression de WoTC et des conflits qu’elle cause. Finalement, sur des plateformes comme YouTube, les vidéos débattant de la légitimité des proxys peuvent atteindre des durées pouvant aller jusqu’à deux heures.
Dans le cadre de mon mémoire, je m’intéresse aux facteurs personnels et interpersonnels qui expliquent l’utilisation des cartes proxys. Je m’appuie sur plusieurs concepts théoriques pour analyser les résultats de la recherche, mais le plus important est celui du contrat ludique. Initialement proposé par Duflo (1997), ce concept suggère que les joueurs réunis autour d’une expérience ludique partagée vont chercher à partager la meilleure expérience possible pour chacun des membres du groupe. Cette entente peut être explicite ou implicite et, bien entendu, la définition d’une bonne expérience de jeu varie grandement d’un groupe à l’autre. Pour le terrain de recherche, j’ai eu le plaisir de discuter avec 10 participant.es, tou.tes joueur.ses de MTG, dans le cadre d’un entretien semi-dirigé.
Les résultats de cette recherche présentent une grande variété de facteurs personnels et interpersonnels, mais dans un souci de brièveté, je n’aborderai que les principaux facteurs.
Le principal facteur personnel à considérer est l’importance symbolique d’une carte MTG. Les résultats suggèrent que l’acquisition d’une carte peut être un moment important, qu’il s’agisse d’un legs d’un mentor ou d’un ami, d’un investissement financier important ou d’un coup de chance. Toutes les cartes n’ont pas la même importance ou le même attachement émotionnel. Ce qui est certain, c’est que l’utilisation continue d’une carte contribue à l’attachement qu’un joueur aurait pour celle-ci. À l’inverse, les proxys ont rarement ce degré de symbolisme, puisqu’ils sont utilisés de manière généralement très utilitaire. Les résultats suggèrent que cet attachement contribue à une réduction dans l’utilisation des proxys.
Le facteur interpersonnel le plus important concerne le concept de contrat ludique présenté plus haut. Puisque les proxys sont éminemment accessibles, un joueur peut construire un deck bien plus puissant que la moyenne du groupe à très faible coût, ce qui a pour effet de déséquilibrer l’équilibre du métajeu intragroupal ainsi que potentiellement briser le contrat ludique établi entre les joueurs. Le même phénomène peut prendre place avec de vraies cartes, mais le coût associé crée une certaine barrière. Évidemment, avec assez de budgets disponibles, un. e joueu.se pourrait se procurer toutes les cartes désirées.
En conclusion, nous n’avons abordé ici que la surface des proxys et des facteurs d’utilisation qui y sont associés, il s’agit d’un sujet complexe et comprenant plusieurs dimensions. De plus, la recherche effectuée dans le cadre de ce mémoire est de nature exploratoire et comporte plusieurs limites qui ne nous permettent pas d’extrapoler les résultats à grande échelle.
Biographie
Félix Prégent détient une maîtrise en communication de l'UQAM. Il est directeur des opérations chez Astrolabe Interactive.