Expérience utilisateur·rice et jeux vidéo : que retenir ?

L’expérience utilisateur·rice, ou UX pour « User Experience », est un concept qui se comprend comme la qualité de l’expérience globale vécue par l’utilisateur·rice lors de l’utilisation — depuis la visualisation jusqu’à l’interaction — d’une interface : cela peut comprendre des objets, des applications mobiles, des sites internet, etc. Le design UX a donc pour objectif d’offrir la meilleure expérience aux utilisateur·rice·s.

Définitions

Les termes UX et UI étant souvent confondus, il est important de garder à l’esprit les quelques distinctions qui les caractérisent. L’UX se qualifie par la création de prototypes et de scénarios utilisateur·rice ainsi que par la mise en place d’enquêtes auprès de ces dernier·ère·s afin de tester une interface. Les concepteur·rice·s peuvent, dès lors, également être qualifié·e·s d’architectes d’informations. En contrepartie, le UI, ou « User Interface », se distingue par ses maquettes bien plus peaufinées, par le test de typographies, couleurs et autres aspects esthétiques. Son·sa responsable est qualifié·e de designer graphique. 

Le notion de design centré sur l’expérience est développée, en premier lieu, par le psychologue cognitiviste Don Norman, fondateur de l’ingénierie de l’utilisabilité. Norman introduit la notion de l’affordance — les actions possibles et perçues d’une interface ou d’un objet — dans le champ du design. Il écrit, en 1988, The Design of Everyday Things, proposant aux lecteur·rice·s une vision innovante quant à la manière dont les objets quotidiens qui nous entourent facilitent — ou non — l’utilisation que l’on en fait. Norman pose le constat que, bien souvent, la mauvaise utilisation d’un objet ne vient pas des humain·e·s interagissant avec, mais plutôt d’un mauvais design de cet objet. 

Célia Hodent, psychologue et consultante en jeux vidéo, est l’une des premières chercheuses mariant les deux notions : expérience utilisateur·rice et jeu vidéo. Dans ses travaux, elle présente la croyance selon laquelle il est souvent attendu que les joueur.se·s expérimentent le jeu tel que pensé par les concepteur.rice·s. Joueur·se·s et concepteur·trice·s devraient, pour ce faire, partager un modèle mental commun : une représentation partagée du fonctionnement du jeu développé. Ce n’est, en réalité, pas toujours le cas. Elle insiste donc sur le fait que l’UX devrait faire partie intégrante de la boucle de design lors de la conception d’un jeu vidéo : les attentes et le modèle mental des utilisateur·rice·s doivent rester au centre du projet, à chaque étape. 

Dans le contexte de cette brève introduction, il est essentiel de garder à l’esprit que, bien souvent, le design de l’expérience utilisateur·rice est victime d’idées préconçues qui s’avèrent être injustifiées. Certain·e·s auront l’impression que le·la concepteur·rice chargé·e du pôle UX tentera de déformer les intentions artistiques de l’artiste chargé·e de l’aspect visuel, et donc esthétique, du jeu. Or, s’il peut exister une bonne cohésion ainsi qu’une entente entre ces deux — ou plus — responsables, le jeu peut être conçu de manière bien plus réfléchie et correspondant plus adéquatement à l’utilisateur·rice, alors pris·e en compte (par exemple, en alignant les modèles mentaux des groupes aux deux extrémités du projet). Ensuite, il est important de retenir que l’UX ne représente pas simplement des idées ou des avis de plus — parfois qualifié·e·s de superflu·e·s —, mais bien des constats provenant d’enquêtes assidues auprès de potentiel·le·s utilisateur·rice·s du jeu à paraître. Si un studio désire rendre un jeu le plus agréable possible pour ses utilisateur·rice·s, il devra veiller à investir du temps et de l’argent dans un pôle UX qui pourra s’inclure de manière intégrante dans la boucle de design. 

Développer un UX centré utilisateur·rice

Plus concrètement sur la conception, trois étapes sont essentielles à la réalisation d’une interface centrée utilisateur·rice. En premier lieu, le processus passera par la création de prototypes, allant de basse à haute fidélité. Pour le plus rudimentaire, l’on retrouve le sketch, réalisé rapidement et regroupant les éléments phares de l’interface pensée, qui permet la validation préliminaire des idées du design. Ensuite, le prototype papier, un rien plus abouti ; une maquette statique, non-fonctionnelle, autorisant la validation de l’organisation spatiale des différents écrans. Encore plus peaufinées, les maquettes fonctionnelles, ou wireframes, où l’on visualise la possible navigation entre les écrans de l’interface. Enfin, le prototype codé ; une maquette fonctionnelle et dynamique permettant de vérifier si les besoins des utilisateur·rice·s sont, en effet, satisfaits. 

Les scénarios utilisateur·rice permettent, eux, de définir les tâches que les utilisateur·rice·s devront remplir à chaque étape de l’utilisation de la plateforme. Ces scénarios se construisent sous forme de brefs récits, détaillant les actions attendues des joueur·euse·s : « En tant qu’utilisateur·rice, j’aimerais pouvoir… ». L’utilisation de personas — des profils fictifs d’utilisateur·rice·s types dressés par les concepteur·rice·s — ou la mobilisation d’utilisateur·rice·s potentiel·le·s en chair et en os sont fortement recommandées à cette étape du projet. 

Pour le test de la plateforme prototypée, il est conseillé d’emprunter une méthode double. Par ceci, l’on comprend un mélange de méthodes quantitative et qualitative. Pour la méthode quantitative du sondage, plusieurs outils existent. Quelques exemples sont l’UEQ+, l’AttrakDiff, le SUS, le Kano ou encore l’UMUX. Il s’agit d’échelles de Likert interrogeant divers aspects d’une interface, allant de la capacité de celle-ci à rencontrer les attentes des utilisateur·rice·s, au ressenti de ces dernier·ère·s par rapport aux aspects esthétiques de la plateforme, par exemple. La taille de l’échantillon est libre, mais proportionnelle à l’ampleur du projet: un projet de grande envergure requièrera un plus grand nombre de sujets testeurs. Tous les aspects de l’interface peuvent être testés et évalués : de l’icône d’un certain bouton aux actions possibles de l’avatar, par exemple. Les méthodes qualitatives prennent la forme d’interviews et d’entretiens semi-directifs ou bien de ‘filature’ (shadowing) où les concepteur·rice·s observent assidument l’utilisateur·rice lors de la réalisation d’une tâche proposée. 

La biométrie peut également être employée pour tester l’expérience utilisateur·rice d’une interface. Une des techniques utilisées est l’oculométrie, où le tracé des yeux de l’utilisateur·rice est observé, afin d’en déduire le chemin parcouru pour accomplir certaines tâches ou retrouver certaines informations. Cela permet également d’identifier les éléments présents dans l’interface qui échappent au regard de l’utilisateur·rice ou encore ceux qui détournent ou retiennent tout particulièrement son attention. Il est à noter que l’oculométrie ne permet pas de prendre en compte la vision péri-fovéale de l’utilisateur·rice, soit 5° autour du point de fixation. Dans l’idéal, cette méthode est couplée à des entretiens semi-directifs ou à un questionnaire à échelle, comme ceux cités plus haut. 

Si l’on doit retenir une chose en matière d’UX au sein d’un projet de création, c’est bien que l’utilisateur·rice final·e est à prendre en compte à chaque étape du développement. L’UX doit donc, dans ce cas-ci, faire partie intégrante de l’équipe de design. Une cohésion entre les pôles responsables serait idéale, une bonne entente serait d’autant plus recommandée. 

Références 

Norman, D. (1988). The Design of Everyday Things. Basic Books.

Hodent, C. (2015, mars 31). The Gamer’s Brain : How Neuroscience and UX can impact Design (GDC15). https://celiahodent.com/video-game-ux-psychology/

Biographie

Alix est étudiante de Master en sciences et technologies de l’information et de la communication à l'Université catholique de Louvain (Belgique) et stagiaire auprès de Maude Bonenfant chez Homo Ludens. Elle se spécialise en matière d’UX et développe l’interface d’applications mobiles, notamment en matière de santé vocale pour son projet entrepreneurial Dysentis.